Le loup est revenu en France progressivement par les Alpes autour des années 90. Depuis, l’espèce continue son expansion et avec elle, la prédation déjà existante (liée aux chiens, renards, etc.) sur les troupeaux domestiques se renforce. L’apparition de situations de crise a été accompagnée, depuis 30 ans, par une recréation puis une mobilisation de savoirs-faire et la mise en place d’un accompagnement pour permettre aux éleveurs de mieux se préparer ou répondre à la prédation.

Pour réduire ces situations de crise, il existe deux types de réponses à la prédation : létale et/ou non létale. Leur emploi dépend de facteurs tels que les connaissances de l’exploitant-e sur la faune sauvage, son système d’élevage, son accompagnement, sa volonté et possibilité de s’adapter au contexte de prédation, les efforts de conservation des espèces, la législation, l’opinion publique et la demande du consommateur.

Le choix de chaque stratégie anti-prédation doit résulter de l’emploi d’une combinaison de méthodes pertinentes au regard de contraintes techniques, socio-politiques, écologiques et financières. Face à la quantité de stratégies possibles, de contraintes et de paramètres à prendre en compte, il n'y a pas une seule meilleure solution à toutes les situations de prédation. C’est pourquoi des outils sont élaborés pour faire les choix les plus appropriés. Ils tiennent compte : de la vulnérabilité du troupeau, c’est-à-dire du risque d’attaque en fonction d’un certain nombre de facteurs, et, de la sensibilité de l’exploitation à la prédation, c’est-à-dire de l’impact d’un évènement de prédation ainsi que des possibilités pour le système de supporter les moyens de protection. Ils ont pour vocation d’aider l’exploitant-e ou le conseiller agricole dans leur prise de décision en termes de protection. Bien qu’ils soient précieux et utiles pour travailler à la réduction de la prédation ces outils présentent plusieurs limites :

  • ils sont principalement adaptés aux systèmes pastoraux de montagnes et hautes montagnes, ce qui les rend peu adaptables aux paysages de moyennes montagnes et de plaines
  • ils sont parfois élaborés pour des espaces géographiques précis (communes, parcs naturels, etc.) jusqu’à l’échelle des massifs, ce qui complique leur prise en main pour une application localisée à la commune ou l’exploitation
  • ils proposent une méthode tenant compte d’un paysage d’exploitations ce qui donne un aperçu d’une situation globale mais ne permet pas de mesurer les paramètres socio-économiques et écologiques qui gravitent autour d’une seule exploitation voire d’une parcelle alors même que ces dimensions sont importantes
  • quelques uns permettent un accompagnement personnalisé mais sont trop couteux ce qui les rend peu abordables pour les éleveur-euses
  • ils sont presque exclusivement développés auprès d’éleveurs ovins ce qui en limite leur pertinence pour les autres spécialités
  • les protocoles scientifiques ne sont pas toujours compris et acceptés ce qui entraîne à raison, une méfiance et une application hasardeuse des moyens de protection
  • ils ne prennent pas suffisamment en compte les aspects sociaux et moraux dans les pratiques agricoles
  • Les outils existants, même s’ils sont pertinents et fonctionnels aux yeux des scientifiques et agronomes, ont une utilité réduite si les agriculteur-ices ne se les approprient pas. Leur construction en lien avec l’agriculture se réalise souvent sans les principaux concernés. C’est-à-dire que les personnes non issues du terrain fournissent une méthode finie et prête à l’emploi aux agriculteurs qui sont alors dépossédés de la « maîtrise d’ouvrage et d’œuvre ».

    La construction participative favorise le dialogue et améliore l’appropriation des méthodes employées. Elle permet aussi de réduire les décalages entre les pratiques souhaitées et celles possibles tout en promouvant l’autonomie et l’adhésion.

    En l’absence d’outils et guides pertinents pour élaborer les meilleures stratégies anti-prédation, l’emploi de méthodes inadaptées et une dégradation de la situation pour les éleveur-euses comme pour la biodiversité sont observés et/ou à craindre. C’est le cas de certaines régions de plaines et moyennes montagnes en France, telles que le Limousin, qui subissent la prédation depuis plusieurs années sans parvenir à l’enrayer.

    L'étude de préfiguration : vers un outil de mesure du risque d’exposition d’une exploitation à la prédation

    Face à ce constat, le GMHL a souhaité s'investir pour répondre à la problématique de la prédation et anticiper le retour du loup en Limousin. L'association a entrepris une étude pilote sur ses fonds propres en 2019 visant à mieux connaître les facteurs ayant à priori une influence sur la prédation. Lors de cette étude, le GMHL souhaitait élaborer un premier outil provisoire et évolutif co-construit en plusieurs étapes. Le GMHL avait alors deux objectifs :

  • Améliorer les méthodes déjà développées par des experts
  • Améliorer la compréhension, l'adhésion et la pertinence des stratégies anti-prédation en mutualisant les connaissances empiriques et scientifiques
  • La construction de ce projet a ensuite suivi plusieurs étapes :

    Représentation schématique des différentes étapes de l'étude de préfiguration initiée par le GMHL


    Premièrement, une liste exhaustive des facteurs pouvant avoir une influence directe ou indirecte sur l’exposition à la prédation a été réalisée grâce à la bibliographie la plus récente, des formations et la consultation de différentes personnes ayant des compétences en élevage, écologie ou chiens de protection.

    Cette liste préliminaire de facteurs a ensuite été scindée en 4 domaines et 9 sous-domaines pour faciliter son interprétation et son opérabilité.

    • Domaine “Contexte socio-économique” associé aux sous-domaines “Contexte social” et “Contexte économique” : il fait référence à la situation économique (e.g. situation économique de l’exploitation, autonomie fourragère, taille de l’exploitation, etc.) et sociale (e.g. expérience de l’éleveur, contexte familial, soutien psychologique disponible, etc.) de l’éleveur.
    • Domaine “Elevage” associé aux sous-domaines “Pratiques pastorales” et “Animaux élevés”. Ce domaine fait référence aux choix et itinéraires techniques définis sur l’exploitation (e.g. nombre de bêtes, races, objectifs de productions, etc.)
    • Domaine “Moyens de protection” associé aux sous-domaines “Prévention structurelle” et “Prévention vivante”. Ce domaine fait référence aux différents moyens de prévention structurelle (e.g. clôtures, effarouchement olfactif, visuel, etc.) et vivante (e.g. animaux gardiens, gardiennage humain, etc.).
    • Domaine “Environnement” associé aux sous-domaines “Milieu” (e.g. boisement, type de végétation, etc.), “Biologie des prédateurs” (e.g nombre de loups détectés, période de l’année, présence de jeunes) et “Usage anthropique” (e.g. proximité des grandes randonnées, habitations, etc.).
    • Deuxièmement, les facteurs identifiés et répartis dans les différents domaines et sous-domaines ont été soumis à l’avis d’éleveur-euses du Limousin. Iels pouvaient alors : valider la pertinence d’un facteur, le rejeter et/ou en ajouter certains qui auraient été oubliés/inconnus.

      Troisièmement, les facteurs (rejetés, validés et ajoutés) ont été soumis à l’avis de personnes jugées expertes dans leur discipline afin qu’elles repêchent certains potentiellement rejetés alors qu’ils auraient pu être pertinents. Les expert-es ne pouvaient pas modifier le choix des éleveurs de valider certains facteurs ou d’en ajouter d’autres. En revanche, iels avaient la possibilité de critiquer certains choix et les nuancer.

      Enfin, l’ensemble des facteurs réorganisés ont été synthétisés. Chaque facteur remanié a été placé dans l’un des domaines et sous-domaines identifiés. Il a été ensuite détaillé en plusieurs critères pour lesquels une note a été attribuée en fonction de l’exposition que cela implique face à la prédation.

      Ce premier travail a permis l’élaboration d’un outil provisoire et évolutif, à l’origine du CERP.

      Exemple du classement du facteur "Nombre de visites par lot" à travers le domaine et sous domaine où il a été identifié. Ce facteur a la particularité d'être utilisé à la fois pour les évaluations générales des exploitations et d'être repris lors des évaluation à la parcelle ou au lot. Les points attribués sont également donnés à titre d'exemple, le barême a changé depuis l'élaboration de l'outil provisoire.


      Cette première étude menée par le GMHL a permis la mise en relation de plusieurs structures nationales et internationales portant les mêmes valeurs et la même volonté de produire un outil pluridisciplinaire efficace, gratuit et accessible. Parmi ces structures, certaines ont décidé de s’investir pour améliorer l'outil provisoire afin qu'il devienne le CERP : l'outil Collaboratif d'Évaluation du Risque de Prédation.